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Le Journal d'AncestraL - révélateur à l'acide
9 juillet 2014

De la gratitude (non publié)

« La route que j'avais devant moi, j'aurais presque pu la voir. J'étais pauvre et j'allais le rester. L'argent, je n'en avais pas particulièrement envie. Je ne savais pas ce que je voulais. Si, je le savais. Je voulais trouver un endroit où me cacher, un endroit où il n'était pas obligatoire de faire quoi que ce soit. L'idée d'être quelque chose m'atterrait. Pire, elle me donnait envie de vomir. Devenir avocat, conseiller, ingénieur ou quelque chose d'approchant me semblait impossible. Se marier, avoir des enfants, se faire coincer dans une structure familiale, aller au boulot tous les jours et en revenir, non. Tout cela était impossible. Faire des trucs, des trucs simples, prendre part à un pique-nique en famille, être là pour la Noël, pour la Fête nationale, pour la Fête des Mères, pour... les gens ne naissaient-ils donc que pour supporter ce genre de choses et puis mourir ? »

 

Charles BUKOWSKI, Souvenirs d'un pas grand chose.

 

Qu'est-ce que la gratitude ? La gratitude est, je pense, le témoignage humain, entièrement humain et totalement humble et dévoué, qu'un être humain réalise pour un autre. La gratitude, qui devient parfois muette et lacrymale, est accompagnée d'une profonde humilité et d'un grand respect pour l'autre, et d'Humanité. Elle réjouit le cœur. La gratitude va aussi de pair avec l'honneur et la dignité retrouvés par l'action réparatrice de l'autre, à qui l'on rend grâce d'avoir agit avec bonté et gratitude, déjà, envers nous.

 

La gratitude est également une forme de reconnaissance : « je te reconnais comme mon égal, mon frère, ma sœur de cœur, mon ami, mon proche ; je reconnais ta souffrance, tes besoins, ton humanité – et je vais t'aider de tout mon cœur. Ne demande rien, je vais te donner et ne me remercie pas, car c'est humain, nous nous sommes reconnus ». Voilà comment je conçois et vis la gratitude.

 

Au travail, je suis ému quand l'on me dit, comme hier : « restez comme vous êtes Monsieur, restez humain ». On me le dit de temps en temps, accompagné d'autre chose du style : « autour de vous, les autres se montrent cruels avec nous, alors vous on vous apprécie ». Ainsi, l'humanité employée dans nos paroles et actes « fait la différence ». C'est là tout le sens de mon job. J'aide concrètement mais comme je le peux les « usagers du service public pénitentiaire », mais s'il y a une chose qui me fait tenir au boulot, c'est cette humanité que je transmets et offre, et la gratitude qui en découle, bien que je sois surpris chaque fois qu'un compliment venu du fond du cœur m'est exprimé. Ils ont beau se comporter comme des inhumains parfois, et souvent comme des errants abrutis, un humain reste un humain. Pour ma part, tout cela m'est grandement profitable sur le plan spirituel, car cela me permet chaque jour d'accomplir mes vœux bouddhistes et le Sentier Octuple. C'est une chance exceptionnelle pour moi.

 

La vérité, vous le savez bien depuis que j'ai parlé de ma dette, c'est que j'ai peu de choses à offrir matériellement parlant. J'ai le gîte et le couvert pour qui me demandera de l'aide. Je pourrais toujours proposer mon aide dans les domaines sociaux, judiciaires, psychologiques. Mais je me sens souvent démuni et faible, car je ne peux pas faire comme cet homme dont j'ai parlé hier, mon Robin des Bois en prison : au contraire de lui, je ne peux pas tout donner ce que je prends pour donner sans attente de retour aux autres. Mais en même temps, je ne sais pas faire que reconnaître, je dois aller plus loin dans ma gratitude. Et je le montre dans ma droiture, dans mon humanité, ma gratitude.

 

J'ai manqué, plus jeune. Manquer dans un monde où tout s'achète ; manquer quand on peut en principe tout s'offrir si l'on a ce fichu argent, qui se gagne si l'on courbe l'échine pour un autre (ce serait plus gratifiant si chacun bossait pour lui-même) ; manquer ainsi de ce dont on nous fait rêver, parce que l'on est soi-même pauvre - cela m'a marqué profondément. Je ne suis pas de la génération de ceux à qui l'on a appris bien sagement de se contenter de ce que l'on a – mais de celle à qui l'on appris à consommer diaboliquement.

 

De fait, je n'ose pas demander car nous avons trop tendu la main, sans quoi on ne nous donnait pas. Mais j'ai toujours oser donner, partager. Je m'y force même. Être généreux sans compter, se montrer libéral – pas comme Bill Gates mais dans le sens d'un Abbé Pierre – est un rêve pour moi que j'essaie de concrétiser au quotidien. Certes cela montre l'exemple, celui de l'humanité solidaire et sans arrière-pensée, mais c'est surtout cette idée que tout est à chacun et qu'en vérité, rien n'appartient à personne et qu'il y a assez pour tous sans que chacun ne doive prostituer son honneur, sa dignité, son respect, son humanité. Une telle attitude est assez révolutionnaire je trouve, car dans ces temps qui sont les nôtres, l'égoïsme, l'avidité et la possessivité sont exacerbés, et il faut donc se montrer courageux, humble et humain pour agir avec générosité et gratitude envers autrui.

 

Pourtant, si « La moitié la moins riche de la population mondiale possède la même richesse que les 85 personnes les plus riches du monde » *, c'est qu'il y a eu un couac quelque part. Ils nous ont berné, clairement, nos riches. Ce n'est pas cela qui aurait du advenir. Si jamais je revenais dans le passé, croyez-moi que je changerai ça ! On aurait du y réfléchir à deux fois ! Cela me rappelle soudain la fin du film pour enfants, 1001 pattes, où le petit héros fourmi, astucieux et tête en l'air, mais brave et courageux, s'insurge contre la méchante sauterelle, Le Borgne, qui opprime son peuple. Car Tilt ose et donne conscience à ses semblables qu'ils sont bien plus nombreux que la troupe de sauterelle qui a le pouvoir... éclairer les consciences est une preuve de générosité et de gratitude envers ses semblables, et ce blog contribue à cela. En tous cas j'espère que ma fille se souviendra plus tard de cet épisode ! En fait, j'espère même qu'elle n'aura pas à le faire, car les adultes auront pris entre temps leurs responsabilités et auront fait tomber les psychopathes qui les dirigent.

 

Il nous faudra donc aller bien plus loin que là où nous sommes actuellement, pour que chacun puisse exprimer sa gratitude et que chacun ni gagne sa vie, ni ne la perde, afin que tous en jouisse. Il nous faudra bien aller plus loin si nous voulons l'égalité, car notre société est profondément inégalitaire, et dessinée et maintenue par le gant de fer du 1% de riches. Il nous faudra aller bien plus loin afin que le peuple ait conscience de lui-même et se révolte et forme une insurrection contre les Etats et entreprises vampires.

 

Cela qu'il y a de bien dans notre histoire, c'est qu'à force de nous voler notre argent par-ci par-là, de nous extorquer, de nous imposer, nous n'aurons bientôt plus un rond sauf pour l'essentiel, et encore : le pire est toujours possible. Déjà nous le sentons, nous savons que la nasse se resserre, nous voyons que l'austérité nous empêche de consommer alors qu'ils espèrent l'inverse pour remonter la croissance (mais que cherchent-il donc ainsi ?). Quand nous serons pris comme un chaland plein de thons, nous étoufferons – ou exploserons – sauf si le Pentagone a bien joué sa partie.

 

Le grand philosophe zen Charles Bukowski a dit dans son Factotum : « Comment diable un homme peut-il se réjouir d'être réveillé à 6h30 du matin par une alarme, bondir hors de son lit, avaler sans plaisir une tartine, chier, pisser, se brosser les dents et les cheveux, se débattre dans le traffic pour trouver une place, où essentiellement il produit du fric pour quelqu'un d'autre, qui en plus lui demande d'être reconnaissant d'avoir cette opportunité ? » Voilà le fameux couteau sous la gorge qui fait tenir cette société retenue d'insurrection par abêtissement par le spectacle permanent, le confort, et la peur du vide né de la misère, économique et socioprofessionnelle.

 

Je ne connais pas les fameuses personnes, sauf une vraiment, qui m'ont aidé quand j'étais dans le besoin du fait de la dette. Je veux leur dire que j'éprouve une extrême gratitude pour eux, voire de la révérence. Merci à vous tous, jusqu'à la fin de ma vie. Je ne sais quoi leur offrir en retour, et je ne sais même pas si j'ai quelque chose à leur offrir. Mais une chose est certaine : ils pourront demander mon aide, de l'écoute, du soutien, de l'Humanité de ma part. C'est ce que j'ai de plus précieux.

 

* Oxfam France : rapport de janvier 2014, « en finir avec les inégalités extrêmes ».

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  • AncestraL est un jeune homme publiant sur le blog de Paul Jorion. Je suis AncestraL, car ma voie spirituelle et philosophique remonte jusqu'aux voies ancestrales. Ici : billets d'éclairages politiques, sociétals, philosophiques, artistiques et personnels.
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